30 novembre 2006
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14:00
Comme promis, je reviens sur la soirée du lundi 27 novembre consacrée à Issa dans le cadre du second festival francophone de haïku.
Je l'ai déjà dit mais je le répète: parmi les Maîtres classiques, Issa est probablement mon préféré de par l'humanité qui habite ses poèmes. Aussi n'aurais-je à aucun prix raté cette soirée en deux parties:
Je n'étais visiblement pas le seul, une assistance nombreuse comptant beaucoup de Japonais et Japonaises s'étant déplacé pour l'occasion.
Notre conférencier Seegan Mabesoone est un personnage sortant de l'ordinaire. Français installé au Japon à Nagano depuis 1996, Laurent Mabesoone (son pseudonyme Seegan signifie "yeux bleux" en Japonais) est titulaire d'un doctorat de littérature comparée à l'université Waseda. Il est à l'origine du projet Un haïku pour les Jeux Olympiques lorsque Nagano accueillit les jeux d'hiver en 1998. Son saijiki en Français est également bien connu des haïjins francophones. Parfaitement bilingue, Seegan Mabesoone est également haïjin, à ceci près qu'il écrit directement en Japonais!
D'emblée, l'homme impose une présence à la fois tranquille et courtoise. Il parle le Français sans aucun accent, mais avec un rythme et une douceur surprenants, très japonais. Idéal pour retenir l'attention de son auditoire.
On trouvera ici l'essentiel de la conférence prononcée lundi. Elle dérive de la thèse de doctorat soutenue par M.Mabesoone. Outre l'intérêt du texte lui-même que je vous encourage fortement à lire, Seegan Mabesoone se révèle un formidable lecteur de haïkus, que ce soit en Japonais ou en Français. J'avais rapporté ici les difficultés que j'avais rencontrées pour lire des haïkus en public. J'avais remarqué la solution trouvée par les membres de l'AFH durant ce festival: faire lire deux fois de suite un haïku par deux personnes différentes. Deux voix, deux débits, deux sensibilités au service de "l'espace de sens ouvert" qu'est un haîku.
Celle de Seegan Mabesoone est très simple mais terriblement difficile à mettre en oeuvre: tout simplement se laisser naturellement aller aux sonorités des mots, au sens et à l'émotion qu'ils dégagent! Et ça fonctionne à la perfection! Il "suffit" finalement de rester naturel et de restituer dans sa lecture à haute voix le ressenti que vous avez eu en découvrant le poème! Je pensais cela périlleux en raison de la taille minuscule du haïku, mais le "concentré de sens" peut finalement être restitué par un "concentré d'émotions". Cela n'est toutefois pas donné à tout le monde, et jamais je n'avais entendu lire des haïkus aussi bien.
Cela vaut également pour les versions originale. Je ne parle pas du tout Japonais (hormis quelques mots que l'on finit bien par apprendre dans les éditions bilingues des haîkus des Maîtres), mais la restitution des sonorités et du rythme par Seegan fit tant et si bien que l'on ressentait le sens sans comprendre mot à mot. Du reste, il nous fit lire les haïkus en Japonais avec lui, une expérience sympathique et très instructive pour les haïjins présents. Effectivement, on devrait toujours tester les haïkus en les lisant à haute voix, cette conférence en fournit une éclatante démonstration.
Sur le fond, je ne ferai qu'une remarque. Seegan Mabesoone explique dans sa thèse le goût prononcé des Français pour les oeuvres d'Issa par deux raisons majeures:
Certes, mais je pense que ce ne sont pas les seules raisons. La France a subi depuis les années soixante-dix une profonde transformation qui l'ont fait sortir de sa ruralité. Elle a bien changé depuis que les premiers lettrés ont rapporté du Japon la poésie d'Issa en 1916. Toutefois, le monde rural auquel appartenait Issa est naturellement proche de la Nature. Il obéit au cycle des saisons qu'il connaît et accepte bien. Cette proximité avec la Nature n'est-elle pas l'essence même du haïku?
Nous nous sommes bien éloignés de cette réalité. Il suffit de se promener sur un marché pour constater que, les importations des pays lointains aidant, on trouve à peu près de tout tout le temps. La notion de fruits ou légumes de saison devient très lointaine. Et pourtant, nous aimons toujours autant Issa. N'est ce pas tout simplement parce que nous y retrouvons nos racines, l'amour de la Nature et une certaine acceptation fataliste de ce qui vient, en bien ou en mal? N'est-ce pas tout simplement parce que sous ses rudes manières paysannes Issa touche à l'essentiel, sans fioritures ni affectation?
La seconde partie de la soirée fut une originale rencontre entre la musique classique contemporaine et la poésie.
Tout commença par une élégie pour piano seul de Tonino Battista sur des thèmes de berceuse d'Itsuki et Sakura intérprétée par Mme. Akemi Suetaka. Une composition aérienne et rêveuse, dans laquelle l'oreille ne peut manquer de reconnaître le thème de ... la publicité d'Obao, qui a donc manifestement emprunté un thème de musique populaire japonaise!
Les trois derniers haïkus de Yosa Buson furent ensuite illustrés par trois compositions pour piano seul de Renaud Gagneux, toujours par Mme. Suetaka.
Sous le titre collectif L'âme des insectes, six haïkus d'Issa firent ensuite l'objet d'une interprétation lyrique par la soprano Tomoko Taguchi, sur une musique de Kageyuki Ichikawa. J'avoue ne pas avoir été totalement convaincu par cet intermède, non que la chanteuse eût failli, mais la musique comportait à mon sens trop de dissonances et de cassures dramatiques pour convenir à la légèreté des haïkus, qui étaient ici chantés en Français après avoir été admirablement lus dans les deux langues par Seegan Mabesoone.
Suivirent, sous le titre Eaux d'Issa sept haïkus d'Issa par le baryton Hiroshi Anzo, sur une musique admirable de Charlotte Perrey, présente dans la salle. Toujours en Français, ces haïkus furent magnifiquement chantés sur des mélodies délicates convenant bien plus au sujet, c'est du moins mon goût. L'interprétation très ressentie et la magnifique émission vocale du chanteur emportèrent l'adhésion de la salle, tout comme pour les deux derniers haïkus, chantés cette fois en Japonais sur des musiques de Kiyoshige Koyama et Kouichi Kiriyama.
Le programme se termina magnifiquement par des chansons japonaises interprétées par Tomoko Taguchi sur une musique qui nous permit d'apprécier son sens de la nuance.
Une excellente soirée donc, rendant admirablement hommage à Issa, très originale et qui porta très haut l'intérêt de ce second festival francophone de haïkus!
Ceci en sera ma dernière chronique, car je ne suis hélas pas disponible pour assister à la clôture ce soir, qui verra la présentation par Janick Belleau de l'anthologie L'érotique aux éditions Biliki.
J'aurais l'occasion de revenir sur cette superbe anthologie, que j'ai fait dédicacer samedi dernier par les auteurs présents.
Ce fut un splendide festival, que les organisateurs, intervenants et participants en soient chaudement remerciés. A dans deux ans, au Québec, me suis-je laissé dire!
Je l'ai déjà dit mais je le répète: parmi les Maîtres classiques, Issa est probablement mon préféré de par l'humanité qui habite ses poèmes. Aussi n'aurais-je à aucun prix raté cette soirée en deux parties:
- la conférence Issa redécouvert par Seegan Mabesoone
- les instants musicaux par Akemi Suetaka (piano), Hiroshi Anzo (bariton), Tomoko Taguchi (soprano) et Seegan Mabesoone(récitation de haïkus)
Je n'étais visiblement pas le seul, une assistance nombreuse comptant beaucoup de Japonais et Japonaises s'étant déplacé pour l'occasion.
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Seegan Mabesoone |
D'emblée, l'homme impose une présence à la fois tranquille et courtoise. Il parle le Français sans aucun accent, mais avec un rythme et une douceur surprenants, très japonais. Idéal pour retenir l'attention de son auditoire.
On trouvera ici l'essentiel de la conférence prononcée lundi. Elle dérive de la thèse de doctorat soutenue par M.Mabesoone. Outre l'intérêt du texte lui-même que je vous encourage fortement à lire, Seegan Mabesoone se révèle un formidable lecteur de haïkus, que ce soit en Japonais ou en Français. J'avais rapporté ici les difficultés que j'avais rencontrées pour lire des haïkus en public. J'avais remarqué la solution trouvée par les membres de l'AFH durant ce festival: faire lire deux fois de suite un haïku par deux personnes différentes. Deux voix, deux débits, deux sensibilités au service de "l'espace de sens ouvert" qu'est un haîku.
Celle de Seegan Mabesoone est très simple mais terriblement difficile à mettre en oeuvre: tout simplement se laisser naturellement aller aux sonorités des mots, au sens et à l'émotion qu'ils dégagent! Et ça fonctionne à la perfection! Il "suffit" finalement de rester naturel et de restituer dans sa lecture à haute voix le ressenti que vous avez eu en découvrant le poème! Je pensais cela périlleux en raison de la taille minuscule du haïku, mais le "concentré de sens" peut finalement être restitué par un "concentré d'émotions". Cela n'est toutefois pas donné à tout le monde, et jamais je n'avais entendu lire des haïkus aussi bien.
Cela vaut également pour les versions originale. Je ne parle pas du tout Japonais (hormis quelques mots que l'on finit bien par apprendre dans les éditions bilingues des haîkus des Maîtres), mais la restitution des sonorités et du rythme par Seegan fit tant et si bien que l'on ressentait le sens sans comprendre mot à mot. Du reste, il nous fit lire les haïkus en Japonais avec lui, une expérience sympathique et très instructive pour les haïjins présents. Effectivement, on devrait toujours tester les haïkus en les lisant à haute voix, cette conférence en fournit une éclatante démonstration.
Sur le fond, je ne ferai qu'une remarque. Seegan Mabesoone explique dans sa thèse le goût prononcé des Français pour les oeuvres d'Issa par deux raisons majeures:
- les racines rurales de la poésie et de la mentalité d'Issa, qui ne peuvent que séduire un pays profondément rural comme le nôtre
- les liens entre la poésie d'Issa et les chansons populaires japonaises, relativement lyriques, et qui là encore ne peuvent que résonner dans notre coeur puisque nous avons aussi une longue tradition en la matière et que chez nous "tout finit par des chansons".
Certes, mais je pense que ce ne sont pas les seules raisons. La France a subi depuis les années soixante-dix une profonde transformation qui l'ont fait sortir de sa ruralité. Elle a bien changé depuis que les premiers lettrés ont rapporté du Japon la poésie d'Issa en 1916. Toutefois, le monde rural auquel appartenait Issa est naturellement proche de la Nature. Il obéit au cycle des saisons qu'il connaît et accepte bien. Cette proximité avec la Nature n'est-elle pas l'essence même du haïku?
Nous nous sommes bien éloignés de cette réalité. Il suffit de se promener sur un marché pour constater que, les importations des pays lointains aidant, on trouve à peu près de tout tout le temps. La notion de fruits ou légumes de saison devient très lointaine. Et pourtant, nous aimons toujours autant Issa. N'est ce pas tout simplement parce que nous y retrouvons nos racines, l'amour de la Nature et une certaine acceptation fataliste de ce qui vient, en bien ou en mal? N'est-ce pas tout simplement parce que sous ses rudes manières paysannes Issa touche à l'essentiel, sans fioritures ni affectation?
La seconde partie de la soirée fut une originale rencontre entre la musique classique contemporaine et la poésie.
Tout commença par une élégie pour piano seul de Tonino Battista sur des thèmes de berceuse d'Itsuki et Sakura intérprétée par Mme. Akemi Suetaka. Une composition aérienne et rêveuse, dans laquelle l'oreille ne peut manquer de reconnaître le thème de ... la publicité d'Obao, qui a donc manifestement emprunté un thème de musique populaire japonaise!
Les trois derniers haïkus de Yosa Buson furent ensuite illustrés par trois compositions pour piano seul de Renaud Gagneux, toujours par Mme. Suetaka.
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Tomoko Taguchi (soprano) et Akemi Suetaka (piano) |
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Hiroshi Anzo (baryton) et Akemi Suetaka (piano) |
Le programme se termina magnifiquement par des chansons japonaises interprétées par Tomoko Taguchi sur une musique qui nous permit d'apprécier son sens de la nuance.
Une excellente soirée donc, rendant admirablement hommage à Issa, très originale et qui porta très haut l'intérêt de ce second festival francophone de haïkus!
Ceci en sera ma dernière chronique, car je ne suis hélas pas disponible pour assister à la clôture ce soir, qui verra la présentation par Janick Belleau de l'anthologie L'érotique aux éditions Biliki.
J'aurais l'occasion de revenir sur cette superbe anthologie, que j'ai fait dédicacer samedi dernier par les auteurs présents.
Ce fut un splendide festival, que les organisateurs, intervenants et participants en soient chaudement remerciés. A dans deux ans, au Québec, me suis-je laissé dire!
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De g. à d. Seegan Mabesoone, Akemi Suetaka, Charlotte Perrey, Hiroshi Anzo et Tomoko Taguchi |