... autant s'attarder encore un peu sur cette forme poétique évoquée vendredi.
Le tanka ("chant court") n'a pas connu l'extraordinaire vogue du haïku à travers le monde. En effet, s'il s'écrit des haïkus en Français, Anglais, Breton, Allemand, Russe et j'en passe (voir les excellents sites
Temps libres de Serge Tomé et
Haïkus sans frontières d'André Duhaime), il n'en est pas de même pour le tanka.
Peut-être est-il trop proche de nos conceptions poétiques occidentales pour avoir exercé la même fascination que son petit cousin le haïku. Trop proche, donc trop familier pour avoir ce goût d'ailleurs qui fait envie. Trop proche dans sa forme, ces 31 syllabes qui permettent un épanchement qu'interdit la brièveté des 17 syllabes de l'haïku, trop proche par ses thèmes, souvent empreints de nostalgie ou d'amour (le tanka tenait souvent de billet doux entre les amoureux et les amants).
Ainsi celui-ci:
Les vents de déchaînent
Sur les rochers
Me blessent moi seul
Moments cruels, les tourments
Me brisent en morceaux
(Minamoto no Shigeyuki, traduit par Maurice Coyaud dans
Tanka, Haïku, renga - le triangle magique)
Etats d'âme du poète accordés aux forces de la nature, soupirs et délectation morose, ne dirait-on pas le Chateaubriand de
René ?
Et dans celui-ci:
Sur la plaine liquide
Ramant je vois
Dans le ciel
Les nuages brouillés confondus avec
Les vagues qui blanchoient au loin
(Hôshûji nûdo saki no kanpaku Daijô daijin, trad. M. Coyaud)
n'y aurait-il pas un peu du Lamartine du
Lac?
Enfin, dans ce tanka de Takuboku:
Pour quelle raison
Dans mon crâne
Une falaise
Chaque jour des mottes
S'en détachent
Beaudelaire n'aurait sans doute pas renié l'expression de son spleen.
Plus proche de nous, plus humain en quelque sorte, le tanka expose davantage les sentiments de son auteur que le haïku, dans lequel une certaine prise de distance par rapport à la chose montrée laisse bien plus de latitude d'interprétation au lecteur. C'est cette
ouverture (dont on aura l'occasion de reparler) qui donne sans doute au haïku cette universalité. Une grande économie de moyens pour un maximum de sens potentiel. C'est l'idée que je me suis toujours faite de l'Art japonais. Un monde en 17 syllabes ou, dans les calligraphies et les peintures, en trois traits. Troubler à peine le vide pour mieux suggérer. L'ensemencer de quelques signes, et laisser germer.
Le tanka n'est cependant pas à négliger. Ces cinq lignes (5-7-5-7-7) dont les deux dernières doivent introduire un changement de point de vue par rapport aux trois premières permettent à l'âme de s'épancher avec une retenue et une dignité toute extrême-orientale. Ainsi de cette superbe expression de la nostalgie par Hitomaro:
Lac d'Omi
Quand sur la vague du soir
Tu cries, ô pluvier
Dans mon coeur séduit
Il me souvient du passé
Au début de l'automne, lorsque ressortent cahiers et cartables, il m'arrive moi-même de regretter étrangement certaines choses:
Jours clairs de septembre
Et toujours la craie qui crisse
Sur le tableau noir
Jours enfuis de mon enfance
Pourtant, nous voulions grandir!