24 août 2006
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Voici venir une poétesse exceptionnelle, un des talents les plus authentiques et les plus purs du haïku japonais classique.
Chiyo Fukumasuya est née en 1703 à Matto, sur la côte nord de l'île de Honshu (l'île principale du Japon), plus précisément dans la région de Kaga. Son village est sur la route de Kyoto, aussi de nombreux voyageurs font étape dans l'une des nombreuses auberges locales.
Elle connaît une enfance heureuse, dans une ambiance littéraire et artistique puisque sa famille tient une boutique de montage de rouleaux de calligraphie. Chiyo se familiarise rapidement avec "les quatre trésors du lettré" : l'encre, le papier, les pinceaux et la pierre à encre (suzuri). On dit qu'elle composa son premier poème à l'âge de six ans.
A douze ans, son père l'envoie chez le maître de haïku Hansui afin qu'elle y apprenne l'art de la calligraphie et de la composition poétique. Elle se révèle très douée et, devenue adolescente, sa réputation de poétesse grandit rapidement, d'autant plus que la jeune fille est d'une rare beauté, célèbre dans tout le pays. Dès l'âge de seize ans, elle commence à publier ses oeuvres dans les cercles et revues littéraires. A partir de vingt ans, elle se consacre exclusivement à la voie poétique, dans un style d'une limpidité unique. Son mode de vie simple, proche de la nature et des gens, donne à sa poésie une simplicité lumineuse et une chaleur rare.
A trente ans, c'est le drame: Chiyo perd pratiquement toute sa famille et se retrouve seule à la tête de l'échoppe de rouleaux de papiers. Elle continue cependant de plus belle son activité poétique et commence à se rapprocher des milieux bouddhistes, notamment du courant de la Terre Pure.
Finalement, elle devient à cinquante-deux ans Chiyo Ni, c'est à dire la nonne Chiyo, prenant pour nom bouddhiste Soen, jardin nu. Elle explique son ordination non par un rejet du monde, mais par un profond sentiment d'impermanence qui la pousse à retrouver la source pure de toutes choses.
Son statut de bonzesse lui offre paradoxalement plus de liberté que si elle était restée au monde et s'était mariée. Son activité poétique explose littéralement et sa réputation de poétesse, de peintre et de calligraphe grandit encore. Elle offre du reste fréquemment calligraphies et haïgas à ses amis.
Ce n'est pourtant que vers la fin de sa vie qu'elle publie son premier recueil. Sa santé se détériore à partir de 1770, un an avant la parution d'un second recueil. En 1775, elle s'éteint à l'âge de soixante-douze ans, et le jardin nu le devient pour de bon, ayant perdu sa fleur la plus délicate et la plus parfumée. Nous restent heureusement les pétales de ses vers.
Il ne m'a pas été facile de faire une sélection dans les haïkus de Chiyo Ni, tant sa production est d'une qualité remarquable et constante. Un sens aigu de l'observation, de la composition et l'emploi du mot simple mais juste font de sa poésie une source limpide. Essayez donc de distinguer une goutte d'eau de source d'une autre goutte! C'est frais, cela désaltère, un point c'est tout. Après réflexion, on peut malgré tout mettre en avant ses merveilleuses descriptions de nature:
Egalement remarquable, l'expression d'une sensualité féminine délicate mais certaine, et même troublante dans sa franchise:
(ces deux poèmes ont été écrits au moment du changement rituel de kimono au passage de l'été)
La poésie de Chiyo Ni est si pure qu'on lui a même prêté des vertus térapeuthiques. On rapporte ainsi que le gouverneur de Kaga avait convié Chiyo Ni parce que le plus beau cerisier de son jardin dépérissait. Devant l'arbre malade, Chiyo Ni composa spontanément:
Au printemps suivant, personne ne s'étonna de voir le cerisier à nouveau couverts de fleurs ...
Sa poésie devient légèrement plus grave après qu'elle ait pris l'habit de bonzesse, mais gagne encore en profondeur:
du temps passé
me revient le souvenir
les biches au printemps
le son de la cloche du soir
immobilisé dans le ciel
les cerisiers en fleurs
les pissenlits
de temps à autre réveillent
les papillons de leurs rêves
le vent qui passe les disperse
les rassemble
les pluviers
première neige
ce que j'écris s'efface
ce que j'écris s'efface
dormant seule
réveillée par le gel nocturne
pur ravissementAlors qu'elle allait quitter ce monde, Chiyo Ni écrit encore deux haïkus, le premier de sa main, le second dicté à Suejo, la fidèle amie qui l'accompagnera jusqu'au bout:
Chiyo Fukumasuya est née en 1703 à Matto, sur la côte nord de l'île de Honshu (l'île principale du Japon), plus précisément dans la région de Kaga. Son village est sur la route de Kyoto, aussi de nombreux voyageurs font étape dans l'une des nombreuses auberges locales.
Elle connaît une enfance heureuse, dans une ambiance littéraire et artistique puisque sa famille tient une boutique de montage de rouleaux de calligraphie. Chiyo se familiarise rapidement avec "les quatre trésors du lettré" : l'encre, le papier, les pinceaux et la pierre à encre (suzuri). On dit qu'elle composa son premier poème à l'âge de six ans.
A douze ans, son père l'envoie chez le maître de haïku Hansui afin qu'elle y apprenne l'art de la calligraphie et de la composition poétique. Elle se révèle très douée et, devenue adolescente, sa réputation de poétesse grandit rapidement, d'autant plus que la jeune fille est d'une rare beauté, célèbre dans tout le pays. Dès l'âge de seize ans, elle commence à publier ses oeuvres dans les cercles et revues littéraires. A partir de vingt ans, elle se consacre exclusivement à la voie poétique, dans un style d'une limpidité unique. Son mode de vie simple, proche de la nature et des gens, donne à sa poésie une simplicité lumineuse et une chaleur rare.
A trente ans, c'est le drame: Chiyo perd pratiquement toute sa famille et se retrouve seule à la tête de l'échoppe de rouleaux de papiers. Elle continue cependant de plus belle son activité poétique et commence à se rapprocher des milieux bouddhistes, notamment du courant de la Terre Pure.
Finalement, elle devient à cinquante-deux ans Chiyo Ni, c'est à dire la nonne Chiyo, prenant pour nom bouddhiste Soen, jardin nu. Elle explique son ordination non par un rejet du monde, mais par un profond sentiment d'impermanence qui la pousse à retrouver la source pure de toutes choses.
Son statut de bonzesse lui offre paradoxalement plus de liberté que si elle était restée au monde et s'était mariée. Son activité poétique explose littéralement et sa réputation de poétesse, de peintre et de calligraphe grandit encore. Elle offre du reste fréquemment calligraphies et haïgas à ses amis.
Ce n'est pourtant que vers la fin de sa vie qu'elle publie son premier recueil. Sa santé se détériore à partir de 1770, un an avant la parution d'un second recueil. En 1775, elle s'éteint à l'âge de soixante-douze ans, et le jardin nu le devient pour de bon, ayant perdu sa fleur la plus délicate et la plus parfumée. Nous restent heureusement les pétales de ses vers.
Il ne m'a pas été facile de faire une sélection dans les haïkus de Chiyo Ni, tant sa production est d'une qualité remarquable et constante. Un sens aigu de l'observation, de la composition et l'emploi du mot simple mais juste font de sa poésie une source limpide. Essayez donc de distinguer une goutte d'eau de source d'une autre goutte! C'est frais, cela désaltère, un point c'est tout. Après réflexion, on peut malgré tout mettre en avant ses merveilleuses descriptions de nature:
le parfum du prunier
parfaitement envoûtant
au clair de lune
pluie de printemps
toute chose
embellit
dans les jeunes herbes
les poulains couchés, debout
splendeur
parfaitement envoûtant
au clair de lune
pluie de printemps
toute chose
embellit
dans les jeunes herbes
les poulains couchés, debout
splendeur
Egalement remarquable, l'expression d'une sensualité féminine délicate mais certaine, et même troublante dans sa franchise:
désir de femme
profondément enraciné
les violettes
au parfum des fleurs
je ne montre que mon dos
changement de robe
jamais éteint
mon coeur de femme
j'aère mes vêtements
profondément enraciné
les violettes
au parfum des fleurs
je ne montre que mon dos
changement de robe
jamais éteint
mon coeur de femme
j'aère mes vêtements
(ces deux poèmes ont été écrits au moment du changement rituel de kimono au passage de l'été)
le liseron du soir
la peau d'une femme
au moment où elle se découvre
la peau d'une femme
au moment où elle se découvre
La poésie de Chiyo Ni est si pure qu'on lui a même prêté des vertus térapeuthiques. On rapporte ainsi que le gouverneur de Kaga avait convié Chiyo Ni parce que le plus beau cerisier de son jardin dépérissait. Devant l'arbre malade, Chiyo Ni composa spontanément:
le printemps reviendra -
sans fleurs tu ne seras plus
que bois de chauffage
sans fleurs tu ne seras plus
que bois de chauffage
Au printemps suivant, personne ne s'étonna de voir le cerisier à nouveau couverts de fleurs ...
Sa poésie devient légèrement plus grave après qu'elle ait pris l'habit de bonzesse, mais gagne encore en profondeur:
du temps passé
me revient le souvenir
les biches au printemps
le son de la cloche du soir
immobilisé dans le ciel
les cerisiers en fleurs
les pissenlits
de temps à autre réveillent
les papillons de leurs rêves
le vent qui passe les disperse
les rassemble
les pluviers
première neige
ce que j'écris s'efface
ce que j'écris s'efface
dormant seule
réveillée par le gel nocturne
pur ravissement
l'eau est limpide et fraîche
les lucioles s'éteignent
rien d'autre
j'aurai vu la lune aussi
à ce monde
adieu
les lucioles s'éteignent
rien d'autre
j'aurai vu la lune aussi
à ce monde
adieu