18 septembre 2006
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Hors de question de rater la dernière occasion de voir en scène une légende vivante du blues, un guitariste fabuleux dont l'influence a été et reste encore immense. L'ayant déjà vu trois fois sur scène (tournée U2 de 1989, la Cigale en 1993 et festival Jazz in Marciac en 1997), je sais que l'intérêt n'est pas purement musical, car l'homme se révèle extrêmement attachant, avec une présence et un rayonnement énormes.
Cela faisait donc près de dix ans que je n'avai pas eu le plaisir de voir B.B. King et sa fameuse guitare Lucille en action. Nous sommes arrivés un peu en retard au Zénith, ratant la première partie, un groupe africain dont le peu que nous avons entendu nous a paru plutôt sympathique.
Le temps d'installer le matériel, et le groupe de B.B. débarque. Une section de cuivres complète (deux trompettes, saxophone ténor, saxophone basse), batterie, basse, guitare rythmique et claviers, tous très classe dans des costumes au tombé impeccable. Chez B.B., c'est blues de luxe!
Les concerts de B.B. démarrent toujours sans lui, le groupe s'échauffant sur un ou deux morceaux où tout le monde prend son solo histoire de montrer que l'on a affaire à d'excellents musiciens. Le premier trompettiste, une armoire à glace dont B.B nous apprendra le surnom - Boogaloo- donne le top départ d'un instrumental pêchu. Tout de suite, c'est le swing confortable d'une formation qui tourne à plein régime. Les cuivres étincellent, la section rythmique nous donne des fourmis dans les jambes, le tout enveloppé des nappes chaudes du son inimitable d'un véritable orgue Hammond B3. De ma place, j'aperçois le ventilateur du B3 tourner lentement. Un vrai casse-tête d'emmener en tournée cet engin de près de deux cents kilos (dont vingt litres d'huile), mais quel son magnifique!
Un morceau rapide, un lent, et puis le héros du jour fait son entrée. Standing ovation immédiate, et la première impression est presque pénible. J'avais gardé le souvenir d'un B.B aminci, en bonne forme, et je vois entrer une homme visiblement diminué, un peu voûté, qui traverse lentement la scène et vient s'asseoir sur une chaise qu'il ne quittera plus de tout le concert. Je commence à comprendre pourquoi il a décidé que cette tournée serait la dernière, les soixante ans de carrière et les dizaines de milliers de concerts pèsent lourd sur les épaules. L'âge est là, et cela fait peine, peut-être parce qu'il n'a que deux ans de plus que ma mère.
Une fois assis, sa fidèle Lucille dans les mains, tout change dès qu'il se met à chanter. Sa voix de ténor ne tremble pas d'un iota et a gardé toute sa puissance, son ampleur et sa chaleur. Nous voici rassurés sur son état.
Tout de suite, B.B établit le contact avec le public. Chaleureux, malicieux, cabotin juste ce qu'il faut, il nous remercie d'être venus, ajoutant que la première fois qu'il a joué à Paris, la plupart d'entre nous n'étaient peut-être pas nés. Il remercie donc également nos grands-parents et nos parents d'être venus l'applaudir. Eclat de rire général, c'est fait, la salle est dans sa poche, conquise par la simplicité et la bonhommie du personnage.
Il nous rappelle qu'il a fêté la veille ses quatre-vingt un ans (il est né le 16 septembre 1925) et la salle entonne spontanément un énorme Happy Birthday to you B.B.
Communiquant énormément avec le public, B.B King n'en oublie pas de chanter et de jouer. Il me semble cependant que sa guitare n'est plus aussi présente que par le passé. B.B King se contente de jouer l'introduction et la conclusion et les morceaux sont plus courts, sans les grandes envolées en solo que nous avons connues. Il me semble l'avoir entendu parler de doigt cassé, ce qui pourrait expliquer bien de choses, mais je n'en suis pas sûr. Le rythme du concert est pourtant rapide, ça swingue un maximum, notamment sur le When love comes to town écrit pour lui par U2 en 1989 et auxquels B.B rend un hommage appuyé (You don't know U2? You're breaking my heart!)
Puis l'affaire se corse sur I'm a blues man, but I'm a good man, où la guitare se met plus en évidence, avec un gros son presque saturé. Pendant le solo pris par chacun des cuivres, B.B. montre qu'il n'a rien perdu de la délicatesse de son touché, avec un travail tout en nuances de toute beauté. C'est parti, visiblement chaud B.B. King a visiblement décidé de faire chanter Lucille.
Et elle va chanter, ô combien. La section de cuivres quitte la scène et, accompagné de la seule section rythmique et des claviers, B.B King entame la partie la plus intéressante du concert. Les perles succèdent aux perles, le sommet étant atteint sur Please, love me ou encore How blue can you get où le son inimitable du Maître est bien présent. Loin des démonstrations virtuoses, B.B. King ne joue pas une note de trop. Chacune d'elle est gorgée d'émotion. Son toucher et son fameux vibrato les rend extrêmement vivantes et chacune d'elle est un chant en elle-même. Une grande leçon de blues et de feeling, touchant à l'essentiel. La voix (et la voie!) du coeur.
Tout en chantant, B.B. communique toujours énormément avec le public, qu'il remercie à plusieurs reprises, c'en est presque gênant (You're so good to us!) La chaleur communiquée par le bonhomme est étonnante, une présence énorme et bienveillante, un Bouddha noir assis au centre de la scène.
La section de cuivres revient, et c'est The thrill is gone, bien sûr, son plus gros succès. Il faut en profiter, en déguster chaque note, car après un dernier titre, ce sera bientôt fini.
B.B. rend hommage à Paris, la ville la plus romantique du monde, qui fut bonne pour le jazz, le blues, le rockn'roll et toutes les musiques. Il évoque aussi Django Reinhardt, l'une de ses principales influences. Rappelant que cette tournée est une tournée d'adieu, B.B. King nous lance avec une émotion sincère I'll miss you. I'll really miss you! (vous me manquerez! vraiment!) On lui crie que lui aussi nous manquera.
Il pose Lucille, cela fait une drôle d'impression, comme s'il déposait les armes. Il nous lance -comme si on pouvait l'oublier- My name is B.B. King et quitte la scène accompagné d'une ultime standing ovation. Il met sa casquette, son imperméable, salue une dernière fois la foule et sort de scène.
Voilà, c'est fini, le Roi du Blues s'en est allé, et nous ne sommes pas tout à fait redescendus des étoiles. On ne réalise pas encore tout à fait qu'on ne le verra plus sur scène. Merci B.B. et longue vie à toi et au Blues!
larmes électriques
B.B. King fait ses adieux
le Blues au Zénith
B.B. King fait ses adieux
le Blues au Zénith
Quelques liens:
- une biographie très complète de B.B. King
- une entrevue avec l'Express avant sa tournée d'adieu
- un article pointu pour les passionnés qui voudraient comprendre le fonctionnement d'un Hammond B3 (en anglais)