30 septembre 2006
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Le point d'interrogation parce que je peux encore évoluer sur ce sujet, bien sûr. Toutefois, après bien des recherches et mûres réflexions sur ce sujet, il me semble être arrivé à une position
relativement stable et qui me convient.
Lorsque j'ai commencé à écrire des haïkus, le respect de la forme 5-7-5 (dix-sept syllabes en trois lignes de cinq, sept et cinq syllabes) me paraissait capital, tout comme la forme de deux quatrains et deux tercets d'alexandrins pour un sonnet. Certains arguments m'avaient déjà conduit à assouplir cette position, notamment le fait que les haïkus que j 'avais aimés et qui m'avaient donné envie d'en écrire étaient des traductions françaises qui ne suivaient pas forcément cette règle.
Depuis, il est clair que mon écriture a évolué. Mes haïkus sont loins de toujours respecter la fameuse forme en 5-7-5 et lorsque je parle de mon souhait d'aller plus loin, le compte de syllabes n'est pas ce qui me préoccupe.
Et au fait, s'agit-il bien de syllabes? Je parlais de "recherches", et il faut bien avouer que les querelles d'experts concernant la métrique de la langue japonaise en général et de ses poèmes en particulier font rage. Ici et là, on vous dira en effet que le haïku comporte non pas dix-sept syllabe, mais dix-sept onji (unités de son japonais). Le malentendu viendrait de l'interprétation abusive faisant de ces onji des syllabes.
Diantre! Que signifie? En creusant un peu (Google et Wikipedia sont nos amis), on découvre en effet que notre brave syllabe peut encore être découpée en éléments plus fins appelés mores par une science répondant au doux nom de phonologie, elle-même branche de la linguistique.
On apprend ainsi qu'il existe aussi un poids syllabique déterminant leur découpage en une ou deux mores. Plus intéressant encore (si l'on peut dire ...), il existerait des langues basées non pas sur des syllabes, mais sur des mores. Dans de telles langues, les mots sont découpables en unités de sons ayant toutes la même valeur: ce sont les langues moriques.
Devinez quelle langue est toujours citée en exemple? Ceux qui ont répondu "le Japonais" ont gagné!
Le haïku classique ne ferait donc pas 5-7-5 syllabes, mais 5-7-5 mores. C'est à peu près impossible à reproduire en Français sans solides connaissances en phonologie, le Français étant une langue syllabique. C'est aussi un sacré défi en Anglais, langue accentuelle (c'est à dire rythmée par l'accent tonique).
On pourrait donc penser se libérer définitivement de cette contrainte illusoire, car propre à une langue basée sur un système de phonèmes différent du nôtre. Las! c'est compter sans les querelles d'experts dont je parlais. Du reste, il me parait significatif de constater que le paragraphe concernant le vers japonais dans l'article Wikipédia traitant du pied en poésie reste à écrire!
Il semblerait en effet (je mets au conditionnel, car c'est l'état actuel de mes recherches) que certains considèrent encore la syllabe comme la base de la prosodie en Japonais:
(Laurence Labrune, La phonologie du japonais : entre tradition et modélisation, Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3 & CNRS - Equipe de Recherche en Syntaxe et en Sémantique, UMR 5610, 2005. Quand je vous disais que j'avais fait des recherches!)
On réalise, en se plongeant courageusement dans ce rapport de synthèse (!) que les experts en linguistique ne sont eux-même pas d'accord sur cette histoire de syllabes/mores. Même si c'est assez technique, cela vaut la peine de lire ce chapitre consacré aux composants prosodiques du japonais.
Voir aussi cet intéressant article sur le blog de Tabi.
Quelles conclusions tiré-je de tout ceci?
Tout d'abord, si les experts eux-même ne sont pas d'accord sur la métrique du Japonais, je ne vois pas comment nous pourrions avoir une position strictement arrêtée. Et du reste, est-ce si important? J'ai voulu vous communiquer le fruit de mes recherches - étant d'un naturel curieux mais partageur- mais il faut bien avouer qu'on s'enfonce dans la technique la plus aride et que l'on s'éloigne de la poésie. Comme le disait Jean Cocteau: à force d'aller au fond des choses, on y reste.
Ensuite, il me paraît définitivement vain de prétendre adopter trait pour trait une forme poétique née d'une culture différente, avec une langue différente. Si le Japonais compte en mores et nous en syllabes et l'Anglais, le Russe et le Néerlandais en accents, le haïku dans une autre langue que le Japonais ne peut être qu'une adaptation. Cela suppose inévitablement que l'on fasse des choix, par nature contestables.
Enfin, et c'est la conséquence immédiate de ce qui précède, je ne vois donc pas de quel droit on contesterait à un tercet le statut de haïku au seul motif qu'il n'est pas long de dix-sept syllabes réparties sur trois lignes de cinq, sept et cinq syllabes. Et je ne parle même pas de cette répartition en trois lignes, pure convention occidentale car la haïku en Japonais s'écrit sur une seule ligne!
Si l'on s'en tient strictement aux critères de longueur, car il y en a évidemment bien d'autres, et beaucoup plus importants, je dirais donc que le haïku est un poème court de moins de vingt syllabes, si possible réparties en trois "temps" court-long-court.
J'aime le rythme ternaire et l'équilibre, aussi je me réjouis si je peux faire un 5-7-5 "conforme à la tradition", mais ce n'est plus du tout un impératif pour moi. Je ne renonce pas à un mot qui me paraît important ni ne renverse l'ordre des idées ou des images pour "tenir" dans ce format. Je ne torture ni la langue ni la syntaxe pour faire plus court. C'est généralement impossible, le haïku étant en principe l'expression de l'essentiel, donc l'image réduite au strict nécessaire, le "distillat ultime" de l'expérience. Inversement, je ne rallonge pas inutilement le poème s'il fait moins de dix-sept syllabes en y insérant des mots supplémentaires pour "faire le compte". Ce serait faire des vers de mirliton.
Je terminerai ce billet très technique et farci de liens en précisant qu'il n'y a qu'une occasion où je trouve le respect du 5-7-5 utile, et c'est lorsque l'on débute dans l'écriture du haïku. D'une part cela met un frein à la longueur des poèmes, car on est généralement habitué à la longueur de la poésie occidentale. D'autre part, cet exercice oblige à choisir soigneusement ses mots. Ces deux effets seront salutaires pour la progression. Toutefois, il ne faut pas en faire une obsession.
Le 5-7-5 est une idée en filigrane, l'essentiel est de lire des haïkus, encore et encore, des classiques japonais et d'autres, d'en écrire soi-même et d'en échanger avec d'autres haïjins. Et tout le reste est littérature (Verlaine).
Lorsque j'ai commencé à écrire des haïkus, le respect de la forme 5-7-5 (dix-sept syllabes en trois lignes de cinq, sept et cinq syllabes) me paraissait capital, tout comme la forme de deux quatrains et deux tercets d'alexandrins pour un sonnet. Certains arguments m'avaient déjà conduit à assouplir cette position, notamment le fait que les haïkus que j 'avais aimés et qui m'avaient donné envie d'en écrire étaient des traductions françaises qui ne suivaient pas forcément cette règle.
Depuis, il est clair que mon écriture a évolué. Mes haïkus sont loins de toujours respecter la fameuse forme en 5-7-5 et lorsque je parle de mon souhait d'aller plus loin, le compte de syllabes n'est pas ce qui me préoccupe.
Et au fait, s'agit-il bien de syllabes? Je parlais de "recherches", et il faut bien avouer que les querelles d'experts concernant la métrique de la langue japonaise en général et de ses poèmes en particulier font rage. Ici et là, on vous dira en effet que le haïku comporte non pas dix-sept syllabe, mais dix-sept onji (unités de son japonais). Le malentendu viendrait de l'interprétation abusive faisant de ces onji des syllabes.
Diantre! Que signifie? En creusant un peu (Google et Wikipedia sont nos amis), on découvre en effet que notre brave syllabe peut encore être découpée en éléments plus fins appelés mores par une science répondant au doux nom de phonologie, elle-même branche de la linguistique.
On apprend ainsi qu'il existe aussi un poids syllabique déterminant leur découpage en une ou deux mores. Plus intéressant encore (si l'on peut dire ...), il existerait des langues basées non pas sur des syllabes, mais sur des mores. Dans de telles langues, les mots sont découpables en unités de sons ayant toutes la même valeur: ce sont les langues moriques.
Devinez quelle langue est toujours citée en exemple? Ceux qui ont répondu "le Japonais" ont gagné!
Le haïku classique ne ferait donc pas 5-7-5 syllabes, mais 5-7-5 mores. C'est à peu près impossible à reproduire en Français sans solides connaissances en phonologie, le Français étant une langue syllabique. C'est aussi un sacré défi en Anglais, langue accentuelle (c'est à dire rythmée par l'accent tonique).
On pourrait donc penser se libérer définitivement de cette contrainte illusoire, car propre à une langue basée sur un système de phonèmes différent du nôtre. Las! c'est compter sans les querelles d'experts dont je parlais. Du reste, il me parait significatif de constater que le paragraphe concernant le vers japonais dans l'article Wikipédia traitant du pied en poésie reste à écrire!
Il semblerait en effet (je mets au conditionnel, car c'est l'état actuel de mes recherches) que certains considèrent encore la syllabe comme la base de la prosodie en Japonais:
J’ai le sentiment que l’on continue d’accorder à la syllabe un statut central et universel par rapport aux autres éléments de la hiérarchie prosodique (more, pied, etc.) sans que ceci soit
justifié, ni par les faits, ni par la théorie elle-même.
(Laurence Labrune, La phonologie du japonais : entre tradition et modélisation, Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3 & CNRS - Equipe de Recherche en Syntaxe et en Sémantique, UMR 5610, 2005. Quand je vous disais que j'avais fait des recherches!)
On réalise, en se plongeant courageusement dans ce rapport de synthèse (!) que les experts en linguistique ne sont eux-même pas d'accord sur cette histoire de syllabes/mores. Même si c'est assez technique, cela vaut la peine de lire ce chapitre consacré aux composants prosodiques du japonais.
Voir aussi cet intéressant article sur le blog de Tabi.
Quelles conclusions tiré-je de tout ceci?
Tout d'abord, si les experts eux-même ne sont pas d'accord sur la métrique du Japonais, je ne vois pas comment nous pourrions avoir une position strictement arrêtée. Et du reste, est-ce si important? J'ai voulu vous communiquer le fruit de mes recherches - étant d'un naturel curieux mais partageur- mais il faut bien avouer qu'on s'enfonce dans la technique la plus aride et que l'on s'éloigne de la poésie. Comme le disait Jean Cocteau: à force d'aller au fond des choses, on y reste.
Ensuite, il me paraît définitivement vain de prétendre adopter trait pour trait une forme poétique née d'une culture différente, avec une langue différente. Si le Japonais compte en mores et nous en syllabes et l'Anglais, le Russe et le Néerlandais en accents, le haïku dans une autre langue que le Japonais ne peut être qu'une adaptation. Cela suppose inévitablement que l'on fasse des choix, par nature contestables.
Enfin, et c'est la conséquence immédiate de ce qui précède, je ne vois donc pas de quel droit on contesterait à un tercet le statut de haïku au seul motif qu'il n'est pas long de dix-sept syllabes réparties sur trois lignes de cinq, sept et cinq syllabes. Et je ne parle même pas de cette répartition en trois lignes, pure convention occidentale car la haïku en Japonais s'écrit sur une seule ligne!
Si l'on s'en tient strictement aux critères de longueur, car il y en a évidemment bien d'autres, et beaucoup plus importants, je dirais donc que le haïku est un poème court de moins de vingt syllabes, si possible réparties en trois "temps" court-long-court.
J'aime le rythme ternaire et l'équilibre, aussi je me réjouis si je peux faire un 5-7-5 "conforme à la tradition", mais ce n'est plus du tout un impératif pour moi. Je ne renonce pas à un mot qui me paraît important ni ne renverse l'ordre des idées ou des images pour "tenir" dans ce format. Je ne torture ni la langue ni la syntaxe pour faire plus court. C'est généralement impossible, le haïku étant en principe l'expression de l'essentiel, donc l'image réduite au strict nécessaire, le "distillat ultime" de l'expérience. Inversement, je ne rallonge pas inutilement le poème s'il fait moins de dix-sept syllabes en y insérant des mots supplémentaires pour "faire le compte". Ce serait faire des vers de mirliton.
Je terminerai ce billet très technique et farci de liens en précisant qu'il n'y a qu'une occasion où je trouve le respect du 5-7-5 utile, et c'est lorsque l'on débute dans l'écriture du haïku. D'une part cela met un frein à la longueur des poèmes, car on est généralement habitué à la longueur de la poésie occidentale. D'autre part, cet exercice oblige à choisir soigneusement ses mots. Ces deux effets seront salutaires pour la progression. Toutefois, il ne faut pas en faire une obsession.
Le 5-7-5 est une idée en filigrane, l'essentiel est de lire des haïkus, encore et encore, des classiques japonais et d'autres, d'en écrire soi-même et d'en échanger avec d'autres haïjins. Et tout le reste est littérature (Verlaine).